
« Tous les policiers de France ont fait ce qu'il a fait ce soir-là », défendait son avocat. Ce 16 décembre 2025 au tribunal correctionnel de Paris, Karim B., 35 ans, policier de la 22ᵉ compagnie d’intervention, a été relaxé au bénéfice du doute. Il était poursuivi pour avoir violemment interpellé un homme exilé, originaire de Libye, puis couvert les faits en l’accusant de violences, avant que les images de sa caméra-piéton ne viennent mettre à mal la version de son procès-verbal.
Le tribunal a finalement jugé ne pas pouvoir « se prononcer en toute certitude » sur la nature illégitime des violences. Les « erreurs tout à fait manifestes » de son procès-verbal ont été attribuées à « l’inexpérience » du fonctionnaire, en poste depuis deux ans au moment des faits, plus qu’à un « acte frauduleux ». Son collègue, Alan S, 30 ans, qui a signé le procès-verbal incriminé et déposé plainte contre l’interpellé, a également été relaxé.
Le 26 décembre 2023, l’équipage de cinq policiers en mission de sécurisation sur la Place du Trocadéro contrôlait Rabii J., lui reprochant le volume sonore de son enceinte portative. L’exilé, qui parle avec Karim B — seul du groupe à parler et comprendre l’arabe —, présente à leur demande un couteau suisse attaché à son porte-clef, que les fonctionnaires confisquent. Considéré comme une arme de catégorie D., son transport est interdit sauf motif légitime.
Le procès-verbal incriminé, rédigé par Karim B. et signé par tout l’équipage sauf le chauffeur, resté au camion, indique que l’homme « menace de reprendre de force » l’objet puis « cours en direction » et « saisit avec sa main droite » Alan S. pour le récupérer. Rabii J. aurait alors, toujours selon le procès-verbal, multiplié les outrages et les menaces en arabe durant son transport puis au commissariat. Le soir-même, Alan S. dépose plainte pour outrages et violence sans ITT sur personne dépositaire de l’autorité publique. La procédure expose Rabii J. à cinq ans d’emprisonnement.
Mais pour le procureur, le procès-verbal est faux. Car le récit, accablant pour l’exilé, est renversé par les vidéos de la caméra-piéton de Karim B, diffusées sur l’écran de projection du tribunal, au-dessus des juges. Loin des menaces et de l’attitude agressive dont il est accusé, les images révèlent un jeune homme relativement calme, qui cherche surtout à négocier avec le fonctionnaire et demande même à être placé en garde à vue. Juste avant la mise au sol de Rabii J., l’enquêtrice de l’IGPN ne constate « aucun geste brusque ou précipitation vers les effectifs interpellateurs » mais, tout au plus, un bras brièvement tendu en direction du gardien de la paix.
Quant aux multiples menaces et outrages prêtés par le procès-verbal à Rabii J., elles s’avèrent avoir été largement déformée par Karim B. L’IGPN, à l’appui des traductions de deux interprètes, ne retient « aucun propos outrageant » dans ses paroles qui semblent davantage relever de la dénonciation de la violence de l’interpellation et de références religieuses. Sur tout l’enregistrement, une seule insulte en français est retranscrite, fredonnée par Rabii J. milieu d’une chanson alors qu’il attend pour monter dans le fourgon de police, sans être entendue par les fonctionnaires.
Les images apportent par ailleurs une rare vision sur la construction de l’action policière, puis du récit qui l’entoure. Car dans les secondes précédant le croche-patte, malgré le calme apparent du jeune homme, Karim B. prévient déjà ses collègues de se « préparer » : « Ça risque de se corser un peu. Fait comme je te dis, on va se le faire, fait comme je te dis », lance-t-il de manière prémonitoire à Alan S. « Cam activée, prépare-toi parce que ça va… voila ! », dit-il à un autre, en tournant le dos à l’interpellé. Dès l’homme mis au sol, il s’exclame alors : « Voila, c’est ce que je te disais, donc violences PDAP, c’est filmé ! ». Quand Rabii J. conteste, il insiste en arabe : « Tu es allé le voir et tu l’as frappé ». Dans les minutes qui suivent, le policier répète cette version plusieurs fois à ses collègues, puis au téléphone à son supérieur, lequel est ravi de son intervention, avant de pousser Alan S. à déposer plainte. « Je suis témoin du truc. Tu t’es fait enquiller », insiste-t-il.
À l’audience, Karim B. maintient cette version devant les juges, la même répétée par tous de ses collègues lors de leur audition par l’IGPN. Tout au plus, il reconnaît avoir peut-être utilisé des termes « inadéquats » dans son procès-verbal et une erreur dû au « formalisme » du document. S’il doit bien admettre que le jeune homme « n’a pas frappé », il continue d’affirmer que ce dernier a « saisi » son collègue et que ce geste justifiait la balayette. L’individu « devenu dangereux » aurait pu « saisir une arme, le couteau ou son SIG SAUER [arme de service, ndlr] », justifie-t-il.
Pour le procureur, il n’était dans tous les cas « pas légitime de l’amener au sol pour l’interpeller ». Il va plus loin. Selon l’accusation, le policier interpellateur a « pris l’initiative du procès-verbal erroné, l’a indiqué à tout le monde, et lancé enregistrement à dessein » pour assoir ses accusations. L’avocat de Karim B., maître Maître Jérôme Andrei, défend pour sa part simple « gestes techniques professionnels d'intervention » (GTPI) qu'il assure « nécessaire » et « proportionné ».
À côté du premier policier, Alan S. est le seul des quatre cosignataires à être poursuivi devant le tribunal. Lorsque Karim B. — la caméra toujours activée — l’incite à déposer plainte, Alan S. lui répète, l’air perplexe, qu’il « étais de dos » et qu’il n’a « rien vu ». Des dénégations absentes de sa plainte.
À la barre, le fonctionnaire, qui exerce désormais en police-secours, explique être alors « dans [ses] pensées » à préparer une transmission radio, mais d’avoir bien remarqué « après coup » le geste. Quant au procès-verbal, il ne veut pas démentir son ancien collègue et se défausse en expliquant l’avoir seulement « survolé » avant de le signer. « Une forme de maladresse ou de légèreté, peut-être une carence de rigueur », défend son avocat.
« Vous racontez l’histoire comme la raconte [Karim B.], vous reproduisez ce qu’on vous a dit après », lui reproche le procureur dans son réquisitoire. Lui trouve « dramatique » de voir que le fonctionnaire qui, initialement, « ne souhaite pas déposer plainte » se « retrouve embarqué » à « couvrir » les accusations de son collègue. « En aucun cas, jamais, nous ne devons avoir le moindre doute sur la véracité des faits rapportés par un PV », ajoute-t-il, avant de requérir la peine d’un an avec sursis et cinq ans d’interdiction d’exercer avec exécution provisoire contre Karim B., et six mois avec sursis contre Alan S.
La hiérarchie policière avait, pour sa part, pleinement soutenu ses deux fonctionnaires, ne voyant dans leurs actes aucune faute déontologique. Toujours en poste à la 22ᵉ compagnie d’intervention, Karim B. exerce aussi de temps en temps à la brigade de répression de l’action violente. « BRAV-M, ça atterrit un peu chez nous, aussi », s’amuse la présidente. En rendant la décision du tribunal un mois plus tard, elle les met en garde : « Il est indispensable que vous ayez conscience de l’importance de vos procès verbaux. Vous n’êtes pas là pour reconstruire les évènements mais donner la description la plus fiable possible, pour l’ensemble des personnes qui ne sont pas là mais devront juger sur la bonne foi de vos écrits. »
La victime, elle, était absente à l’audience. La justice n’a pas été en mesure de retrouver l’homme sans domicile fixe et sous le coup de deux obligations de quitter le territoire. Dans sa plainte, Rabii J. dénonçait également plusieurs insultes et coups aux jambes dans le véhicule de police, et une seconde balayette au commissariat. Un médecin lui constatait une douleur à l’épaule gauche mais aucune « lésions traumatique visible sur le corps ». L’enquête n’a pas pu corroborer ces accusations, et les faits se seraient déroulés après que Karim B. ait éteint sa caméra-piéton.



























