« J’ai tout essayé pour que ça s’arrête », témoigne Alexandra, 43 ans, au téléphone auprès de ViolencesPolicières.fr. Dans la nuit du samedi 14 au dimanche 15 juin à Montval-sur-Loir (Sarthe), cette ancienne cavalière professionelle, en situation de handicap depuis 2021 suite à un accident de cheval, dénonce avoir été malmenée par deux gendarmes qui l’ont, sur demande du SAMU, transportée de force au centre hospitalier du Mans.
Plus tôt, les sapeurs-pompiers de la caserne locale se présentaient chez Alexandra pour une levée le doute. Leur transmission au SAMU ferait alors état de propos suicidaires, qu'elle nie avoir tenu ainsi que d'avoir sollicité les secours, dénonçant des appels malveillant la concernant. Mais face à son refus de les suivre, les sapeurs-pompiers insistent, l’empêchent de rentrer à son domicile, puis la suivent hors de chez elle en faisant appel à une patrouille de gendarmerie. Pendant près d'une heure, tandis que les deux pompiers tentent de convaincre la quadragénaire, assise au sol avec ses béquilles et une attelle au genou, les gendarmes la menacent et essayent de la déplacer de force. Une de ses amie habitant à proximité, qui nous confirme le déroulé des évènements, se propose auprès des gendarmes de dormir chez elle par sécurité, sans succès.
Dans la plainte que ViolencesPolicières.fr à pu consulter, déposée mi-Juin au commissariat du Mans, l'ex-cavalière accuse notamment l’un des gendarmes de l’avoir soulevée en lui faisant une clé d’étranglement. Une vidéo captée par son amie d'après elle juste après ce geste montre l'homme l’attraper par surprise au niveau des côtes et la relever brutalement. Sur une autre vidéo, les deux gendarmes menottent et relèvent Alexandra, puis la traînent sans ses béquilles vers le véhicule de secours alors qu'elle crie de douleur et fond en larme, répétant ne pas pouvoir marcher.
Peu avant, selon la plainte ainsi que le témoignage de son amie, le militaire l'aurait également menacée de « [lui] mettre un coup » de taser si elle ne bougeait pas. Sur une troisième vidéo, le militaire, debout derrière elle, actionne son pistolet à impulsion électrique (PIE) à deux reprises en lui ordonnant de se lever.
L'emploi du PIE est pourtant limité aux situations de légitime défense et d'état de nécessité, comme l'indique l'instruction du 27 juillet 2017 relative à l'usage et l'emploi des armes de force intermédiaire. « Le taser ne peut pas être utilisé comme une arme d’interpellation » et doit être limité aux cas « face à une menace imminente de mort ou de blessures graves », rappelle Marie-Laure Geoffray, chargée du plaidoyer "Libertés" chez Amnesty International France, sans se prononcer sur ce cas particulier. « Lorsqu’elle n’est pas justifiée, la menace d’utiliser un taser peut constituer une forme de mauvais traitement, au sens où il s’agit d’une forme d’intimidation qui peut engendrer des souffrances mentales et psychiques », estime l'association au regard du droit international.
Dans un certificat médical établi le jour-même, également consulté par ViolencesPolicières.fr, un médecin constate à Alexandra des « céphalées post traumatiques d'un trauma crânien » et de multiples douleurs, notamment aux côtes et aux cervicales, évaluant ses blessures à 5 jours d’interruption totale de travail (ITT). Deux mois après les faits, la quadragénaire indique toujours souffrir de douleurs à la nuque, qu'elle associe au relevage et pour lesquelles elle doit passer de nouveaux examens.
Aujourd’hui, elle peine toujours à comprendre l’utilité de cette intervention. « À l’hôpital, on me retire les menottes, on me prend la tension, on me fait attendre dans un box, puis j’ai vu un médecin. On s’est peut-être parlé trois minutes, et il me dit que je pouvait partir », explique-t-elle quelque-peu désabusée.
Contacté par ViolencesPolicières.fr, le service communication de la Gendarmerie (Service d'Information et de Relations Publiques des Armées, SIRPA) n’a pas souhaité « commenter à ce stade cette intervention », précisant que « les militaires engagés [ont] déposé plainte à l'encontre de la résidente [de Montval-sur-Loir] », sans préciser leur date de dépôt et leur motif. Un des sapeurs-pompiers aurait également déposé plainte contre elle. Entendue en audition libre pour les faits d'outrage, rébellion et "menace de commettre un délit", Alexandra conteste ces accusations : « J'irai devant un juge expliquer ce qu'il s'est passé. S'il veulent me poursuivre avant que mes plaintes soient prises en compte, tant pis. Je n'ai pas peur, je n'ai rien fait de mal », insiste-t-elle. Le parquet a demandé une expertise psychiatrique, qu'elle a refusé, comme la loi lui permet, précisant n'avoir aucun antécédent psychiatrique.
La plainte de l’ex-cavalière a quant à elle été classée par le parquet du Mans pour « absence d’infraction », a indiqué la Gendarmerie. Une décision dont l’intéressée n’aurait jamais été informée. Deux mois après le dépôt de sa plainte, elle était toujours en attente d’une convocation auprès des unités médicaux judiciaire pour l’évaluation de son préjudice. Sollicité, le parquet du Mans n'a pas répondu à nos questions.
Alexandra a annoncé déposer une nouvelle plainte avec constitution de partie civile, une procédure permettant de passer outre la décision du parquet, remettant l’affaire entre les mains d’un juge d’instruction. Le Défenseur des droits, également saisi, a demandé au parquet à se faire communiquer la procédure.
Contacté par ViolencesPolicières.fr, le Service Départemental d'Incendie et de Secours de la Sarthe (SDIS 72) n'a pas donné suite. Questionné sur le cadre légal du transport sans consentement de la plaignante, le Centre Hospitalier du Mans n'a pas souhaité « fournir d'information en lien avec les modalités de prise en charge d’un patient ».
Nous publions l'intégralité des images captées cette nuit-là à notre connaissance. Les forces de l'ordre peuvent être librement filmées et leur image diffusé dès lors qu'ils sont dans l'exercice de leur fonction, comme le rappelle la circulaire du Ministère de l'Intérieur du 23 décembre 2008. Les visages de l'ensemble des protagonistes ont malgré tout été floutés sur demande de la victime.