Il faut croire que la traversée des "Gilets jaunes" et ses 300 journées d'engagement n’auront pas aidé Loic M. à faire preuve de discernement. Ce mardi 20 mai, le policier de la BRAV-M était jugé devant le tribunal correctionnel de Paris pour des violences commises quatre ans plus tôt sur Daniel Bouy, un membre de l'Observatoire Parisien des Libertés Publiques qu'il assure ne pas avoir reconnu. Le collectif animé par la LDH et le Syndicat des avocats de France avait pour mission de documenter les pratiques des forces de l'ordre dans les manifestations.
Le 1er mai 2021 sur le boulevard Voltaire, à la suite d’une charge de son unité visant à interpeller l’auteur d’un jet de cannette, le fonctionnaire avait continué sa course et poussé le sexagénaire par les épaules, le faisant tomber sur le dos, avant de retourner auprès de ses collègues. Auprès de la juge d’instruction, le membre du trinôme chargé de la sécurité de ses coéquipiers affirmait ne l’avoir vu « ni arriver, ni repartir ».
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En costume gris clair, à la barre du tribunal, Loïc M. a avancé ne pas avoir reconnu les observateurs associatifs, pourtant présent depuis plusieurs minutes au milieu du boulevard à une dizaine de mètres de lui. Le petit groupe affublé de casques et chasubles blancs estampillés "Observateur" et du logo de la LDH ne représentait d’après lui « pas un point d’intérêt ». Il ne les aurait d'ailleurs jamais vu auparavant et n’aurait pas, non plus, été prévenu de leur présence par radio ce jour là. Les équipes, actives dans les manifestations depuis 2019, s’étaient pourtant signalées comme à leur habitude auprès des différentes hiérarchies.
Quant au geste qui lui était reproché, le fonctionnaire a assuré avoir seulement voulu « écarter » l’homme qui représentait un « obstacle » à sa course-poursuite, mais sans avoir eu « à aucun moment volonté de blesser ou heurter qui que ce soit », a-t-il répété à plusieurs reprises au cours de l’audience.
Son avocat, Jérôme Andrei, n’a pas usé du même tact, réduisant le geste à « une poussette », un « événement digne d’une cour d’école », jusqu’à se moquer : « Madame, il m’a poussé ! ». Lui a défendu « un partage de responsabilités » entre le fonctionnaire et l’associatif, critiquant le comportement des observateurs qui « se mettent dans des situations à risque ».
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D’une voix posée, Daniel Bouy a dénoncé un geste « volontaire indéniable ». « Sur les vidéos, c’est quelqu’un qui vient les mains en avant, prend son point d’appuis, me pousse, et repart tout de suite », a analysé à la barre l’ancien journaliste de télévision, habitué des manifestations. Son avocat Me Armando Frignati a critiqué l’idée d’une « action policière qui est légitime par nature et que le reste nous gène », y voyant d’avantage une « intimidation » dans un contexte de « crispation particulière entre société civile et policiers sur le droit de filmer en manifestation ».
Une « fabrique de l’impunité » analyse pour sa part la présidente de la LDH Nathalie Tehio, qui a tenue à faire le lien avec des pratiques hostiles subies régulièrement par ses observateurs comme « l’empêchement de filmer par des lumières qui éblouissent, des policiers qui se placent devant les équipes, ou créent un périmètre très élargi », malgré les obligations pour les états à promouvoir et protéger les observations citoyennes.
Rejoignant l’analyse d’un « geste effectué par les deux mains » au contraire d’un « un élan qu’il ne parviendrait pas à arrêter », la procureur a requis 90 jours-amendes à 10 euros contre le fonctionnaire — soit une amende de 900 euros qui se transformera en détention si elle n’est pas payée.
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Le fonctionnaire n’a finalement été condamné qu’à l’exécution d’un stage de citoyenneté dédié au « rappel de la déontologie et des obligations légales de la police nationale ». Mis en cause dans une seconde affaire de violences en compagnie d’un de ses collègues et du commandant de 12ème compagnie d'intervention, il comparaîtra à nouveau devant la 10ème chambre du tribunal de Paris le 19 janvier 2026.
Illustrations par Ana Pich