Sous les arcades commerciales, près du métro Pont-Marie, 200 jeunes exilées, pour la plupart des mineurs en recours, sont réfugiées depuis plusieurs semaines sous une centaine de tentes. Ce soir, des jeunes de Villiers-le-Bel s'installent pour distribuer des repas préparés par leurs mères. Un photographe, Dario, vient apporter du thé chaud et retrouver quelques connaissances. Deux policiers en civil, oreillette à l'oreille, passent discrètement le long des tentes. Ils chuchotent « 20… 40… 60… », en comptant les jeunes.
Puis « tout s'est passé très vite », raconte Dario. Une dizaine de camions de police surgissent, Des policiers descendent en courant, beaucoup cagoulés, matraque et bombe lacrymogène à la main, et encerclent le camp. « Les policiers sortent les jeunes de leurs tentes, leur intiment de partir. Certains réussissent à prendre leur baluchon sur les épaules. D'autres protestent pour récupérer leurs affaires. Les policiers les bousculent ou les poussent à coup de bouclier vers les rues adjacentes. Ils criaient "Dégagez. Dégagez… Tu dégage. Casse toi !" », témoigne Dario. Pendant près d'une heure, les rangées de policiers refoulent petit à petit les jeunes dans les rues parisiennes.
La BRAV-M arrive alors en renfort pour « chasser tous les groupes de plus de trois » explique-t-il, jusqu'à la place Baudoyer près de la mairie du 4ème arrondissement, où ils encerclent quelques dizaines de jeunes exilés réunis à la recherche d'un lieu où dormir. Timur, assis dans bar donnant sur la place, explique avoir vu plusieurs personnes courir, pourchassées par les policiers. Il commence à filmer alors que le jeune homme vient d'être mis au sol. Sur ses images, deux policiers de la BRAV-M relèvent le jeune homme et le tirent par le pull pour le faire marcher. Soudainement, un des policiers le soulève en l'air avant de le projeter violemment contre le sol. La suite est filmée par le journaliste Remy Buisine. Le jeune, encore assis au sol, est relevé par les agents et accompagné vers la nasse.
Les policiers les laisserons partir au compte goutte, par deux ou trois, sans solution d'hébergement. Cette nuit, les températures descendront à zéro degré. Du coté du campement, des jeunes ont pu récupérer leur tente et s'installer par petits groupes sur le trottoir d'en face. L'objectif de l'expulsion interroge. « Ils ont été assez choqués, ils ne comprenaient pas ce qui s'est passé », raconte Océane Marache, coordinatrice d'Utopia 56 Paris, qui vient en aide aux personnes exilées. Quand à la présence des policiers motorisés, « on n'a jamais vu la BRAV-M sur des expulsions sèches, sans mise à l'abri », explique-t-elle. Pour les bénévoles, rien ne justifiait l'intervention de cette unité.
Depuis leur création mars 2019, les policiers motorisés de la BRAV-M ont fait l'objet de multiples enquêtes et de nombreuses accusations de violences injustifiées. Une semaine plus tôt, un équipage partant en intervention percutait mortellement percuté un piéton de 84 ans. Le 20 mars à Paris, des agents rouaient de coups et proféraient des insultes racistes à l’égard d'un jeune interpellé. Le même soir, BFMTV filmait en direct un policier infliger une "droite" à un riverain le faisant tomber inconscient sur le sol. Dans un rapport publié le 13 avril fondé sur plusieurs années d'observation dans les manifestations, l’Observatoire parisien des libertés publiques (créé par la LDH et le SAF) accuse la BRAV-M de pratiques « virilistes », « violentes et dangereuses, promptes à faire dégénérer les situations ».
L'association Utopia 56 a annoncé avoir saisi le parquet, l'IGPN ainsi que le Défenseur des Droits, dénonçant les violences contre le jeune homme ainsi que l'illégalité de l'expulsion. « Ce sont des lieux d'habitation. Au delà d'un délai de 48h, le campement ne peut être expulsé sans une décision de justice », explique son porte-parole Nikolaï Posner. Quand au jeune, Utopia et les bénévoles présents à ce moment nous indiquent ne pas l'avoir retrouvé. Après la diffusion des images par l'association, le préfet de police a demandé l'ouverture d'une enquête administrative "pour que les policiers soient identifiés et les circonstances des faits établis", selon RTL. Joint ce jeudi, le parquet n'a pas encore ouvert d'enquête judiciaire. Le Défenseur des Droits a confirmé l'ouverture d'une instruction.