Violence grave N°5713
PARIS, le 21 mars 2023
Manifestant écrasé par une moto de la BRAV-M : au tribunal, les policiers entre excuses et déni
Ce lundi 7 avril au tribunal de paris, les trois policiers étaient jugés pour avoir roulé sur la jambe puis frappé un manifestant lors des manifestations contre la réforme des retraites en 2023. Entre 5 et 10 mois de prison avec suris ont été requis.
Par Vincent VICTOR, Ana PICH le

Vidéos, témoins, expertise médicale — et même l’enregistrement de leur propre caméra-piéton sur lequel ils se vantent d’avoir « découpé » le jeune homme — n’y changeront rien. Pas plus que l’extrême prévenance du tribunal qui a essayé, six heures durant, de les faire avancer face aux faits. Ce lundi 7 avril au tribunal de Paris, les trois policiers de la BRAV-M, jugés pour avoir roulé sur la jambe puis frappé un manifestant lors des manifestations contre la réforme des retraites en 2023, ont persévéré dans le déni et la justification des violences.

Illustration Procès des policiers de la BRAV-M pour avoir écrasé un manifestant © Ana Pich Illustration Procès des policiers de la BRAV-M pour avoir écrasé un manifestant © Ana Pich Illustration Procès des policiers de la BRAV-M pour avoir écrasé un manifestant © Ana Pich

Le soir du 21 mars 2023 sur l’avenue Daumesnil (Paris), pendant les manifestations sauvages suite à l’adoption par "49.3" de la réforme des retraites, cette unité de la BRAV-M composée des motocyclistes de la préfecture de police et de policiers de la 32ème compagnie d’intervention prend en chasse Valentin, 19 ans, qu’ils accusent d’un jet de bouteille.

Une vidéo captée par un témoin, fortement partagée sur les réseaux sociaux, montre les deux motos monter sur le trottoir en face du restaurant « Le botaniste » et piler face le manifestant qui chute devant leurs roues. Mais alors que le passager de la première moto, descendu quelques secondes avant, le maintient au sol, le conducteur Vincent V. remet les gaz et avance vers la jambe du jeune homme. Auprès des enquêteurs, Valentin affirme que le motard lui a alors roulé sur la jambe, avant que les policiers ne le violentent puis repartent sans même le contrôler. Une street-médic intervient, les pompiers sont appelés. Son certificat médical, établi le lendemain, constate plusieurs dermabrasions et ecchymoses ainsi qu’un « hématome de 56 cm sur 3 cm » le long de la jambe gauche, lui attribut huit jours d’ITT.

Dès la diffusion de la vidéo, des rapports administratifs sont exigés par la hiérarchie aux quatre policiers impliqués. Tandis que X ne parle pas de cet aspect, les trois autres sont formels : il n’y a eu, selon eux, aucun contact entre la moto et la jambe du jeune homme.

« On vient de percuter un mec »

Deux ans plus tard, le dossier est accablant. Deux témoins retrouvés par l’IGPN affirment que la moto a bien roulé sur le jeune homme, évoquant même pour l’un d’eux l’effet d’un « dos d’âne ». La vidéo captée par l’un d’eux montre que la moto « se soulève au contact de la jambe, mais ne franchi par entièrement celle-ci », analyse un enquêteur. Face aux dénégations des policiers, une expertise médicale est également réalisée. La médecin-légiste experte auprès de la cour d’appel de Paris rejoint, elle aussi, la thèse d’un « franchissement à très faible allure » permettant d’expliquer selon elle le large hématome sur la jambe de Valentin, compatible avec un « appui au sol forcé par le poids de la moto » pesant près de 358 kg — chauffeur compris. Surtout, la caméra-piéton d’un des fonctionnaires enregistre toute la scène… et la suite. En rejoignant leurs collègues à quelques centaines de mètres, l’un du groupe se vente d’avoir « percuté un mec ». « On l’a démonté, on l’a découpé » avance-t-il rigolard à un autre équipage, ajoutant qu’il n’y avait « personne avec un téléphone », avant que la caméra ne soit subitement éteinte.

Illustration Procès des policiers de la BRAV-M pour avoir écrasé un manifestant © Ana Pich Illustration Procès des policiers de la BRAV-M pour avoir écrasé un manifestant © Ana Pich Illustration Procès des policiers de la BRAV-M pour avoir écrasé un manifestant © Ana Pich

À la barre, Vincent V, malgré sa grande taille et ses épaules larges, avance à tout petit pas sous les questions du tribunal.  Le motocycliste de 32 ans, qui arbore à la nuque un tatouage "crampon" — un symbole de tradition germanique également prisé par les organisations d’extrême-droite et nazies — est par ailleurs sous contrôle judiciaire pour détournement de mineur, pédopornographie, harcèlement moral et détournement d’un fichier de police. Une « relation avec une prostituée qui est s’est révélée être mineure » défend-il.

Le gardien de la paix reconnaît désormais que sa roue a pu frotter contre la jambe du manifestant et exprime des regrets pour ses blessures, mais nie tout « franchissement ». Il invoque un effet de « décompression » lors de l’arrêt de la moto, qui donnerait « l’impression qu’elle avance et se soulève ». Pour la présidente, le problème est plus général. Car, pendant plusieurs secondes, le motard a continué d’avancer après que son collègue aie dégagé la jambe du jeune homme. « Si on considère que vous n’avez pas roulé sur sa jambe juste parce qu'un collègue a eu le réflexe de tirer le jeune, ça ne va pas suffire », lance la magistrate, soulevant le risque pris par une telle manœuvre. Lui assure qu’il se serait arrêté. « Si c’était à refaire, on le referait » indique-t-il, vraisemblablement inconscient du sens de sa réponse, devant une présidente quelque-peu hébétée.

Claque, coup de genou et pluie d'insultes

Comme le premier motard, le chauffeur de la seconde moto Matthias M. et son passager Valentin T. sont poursuivis pour violences en réunion. Car, à peine débarqués, plusieurs coups sont donnés sur le jeune manifestant sous une pluie d’insultes et d’ordres contradictoire : « Fils de pute, va ! », cri Valentin T. « Qu’est-ce que tu fais là ? Tu fous le bordel, là ? » enchaine Tom P. « Tu veux jeter une poubelle dans ma roue ? » lance Matthias M en lui mettant une claque qui frappe les mains du jeune homme. Tom P : « Tocard, casse-toi, rentre chez toi ! ». Matthias M. : « Reste au sol enculé » tandis que Vincent M. lui met un coup de genou qui le fait rouler sur le côté. « Lève-toi. Lève-toi si t’es un homme » reprend Tom P. avant de le plaquer contre un arbre. Un bruit de tape se fait entendre. Puis les duos l’intime de « dégager » : « Allez, bouge ta race et rentre chez toi ! ».

Vincent V, lui, justifie son coup de genou par la volonté de « maintenir au sol » le jeune homme. Valentin T, à qui le ministère public reproche d’avoir projeté son pied en direction du manifestant sans le toucher, nie toute volonté de coup. Insuffisant pour le rattacher aux violences en réunion, plaide son avocat Jérôme Andrei : « Au pire, c’est tentative de violence ». La claque de Matthias M, c’est pour « pour dégager ses mains » en vue d’une interpellation. Deux ans après, il défend une action « aussi musclée » par la nécessité d’« aller vite » face à un individu « tout de noir vêtu [qui] refusait de se laisser faire ». Les juges, qui rappellent avoir l’habitude des cas de rébellion, voient surtout un jeune « impressionné et affolé » qui n’est « pas dangereux pour lui, pour vous, pour les autres ».

Illustration Procès des policiers de la BRAV-M pour avoir écrasé un manifestant © Ana Pich Illustration Procès des policiers de la BRAV-M pour avoir écrasé un manifestant © Ana Pich Illustration Procès des policiers de la BRAV-M pour avoir écrasé un manifestant © Ana Pich

Des violences « ni nécessaires, ni proportionnées » répète mainte fois la procureur, qui n’ont pas non plus de finalité. Car aucune interpellation, contrôle d’identité ou même palpation de sécurité n’est réalisée par les agents de la BRAV-M, qui repartent moins d’une minute après leur arrivée. « Vous ne savez même pas son nom ! » tonne la présidente.

Un départ précipité que les policiers justifient par un appel du commandement pour une autre intervention, sans convaincre la magistrate : « En fait, vous êtes vu en train d’échanger, de rigoler », fait-elle remarquer en références à l’enregistrement quelques minutes plus tard par leur caméra-piéton. « Une conversation surréaliste, continue-t-elle. Le ton employé, les rires, la surenchère. On a l’impression de voir des cowboys ! (…) Ce n’est seulement choquant. Pour nous, ce sont des aveux. »

Entre 5 et 10 mois de prison avec sursis requis

La procureure se désole que les prévenus, qui « regrettent » mais continuent de parler de gestes « involontaires », n’ont « pas amorcé la quelconque analyse ». Son réquisitoire est d’une sévérité rare pour les procès de fonctionnaires de police : « Ils sont casqués, ils sont armés, ils sont avec des motos, face à un manifestant au sol qui est seul, au sol, et non armé », s’insurge-t-elle. Une scène de « pure violence simple », d’ « intimidation » et de « démonstration de force » pour laquelle elle requière 5 mois de prison avec sursis contre Matthias M. et Valentin T, ainsi que 10 mois avec sursis et l'interdiction définitive d’exercer toute fonction publique contre Vincent V.

Jusqu’à là , le motard s’agitait sur le banc des prévenus, faisant "non" de la tête ou glissant d’un sourire nerveux un « c’est faux » à son collègue motocycliste. Mais au prononcé des réquisitions, le policier a les yeux rouges. Une « condamnation à mort professionnelle » estime son avocat Jérôme Spyridonos qui dénonce le « tribunal médiatique » et rejette toute « violence gratuite » de la part de son client.

Illustration Procès des policiers de la BRAV-M pour avoir écrasé un manifestant © Ana Pich Illustration Procès des policiers de la BRAV-M pour avoir écrasé un manifestant © Ana Pich  

Avec le passager de la première moto Tom P, Vincent V et Valentin T. étaient également poursuivis « faux en écriture par personne dépositaire de l’autorité publique ». Le parquet leur reproche d’avoir mensongèrement indiqué sur leurs rapports administratifs qu’il n’y avait pas eu d’impact avec la moto. Jérôme Andrei, lui, conteste l’utilisation de tels rapports exigés par la hiérarchie « alors qu’on sait déjà qu’ils sont suspectés d’une infraction ». Un « procédé déloyal » selon lui contraire au droit à ne pas s’auto-incriminer. La procureure, elle, défend que les rapports ont bien été demandés « en amont de l’ouverture de l’enquête de l’IGPN ».

Qu'importe. L’infraction punie de 15 ans de réclusion criminelle ne peut être jugée devant le tribunal correctionnel. Le tribunal s’est déclaré incompétent, ouvrant la possibilité pour les trois fonctionnaires d’être poursuivis devant la Cour Criminelle ou la Cour d’Assise de Paris.

Pour les faits de violences en réunion, le délibéré sera rendu le 26 mai 2025.

Illustrations par Ana Pich

Victime
Genre
Homme
Blessures
Multiples dermabrasions et ecchymoses et hématome de 56 cm sur 3 cm le long de la jambe gauche, suite à un écrasement par une moto de la BRAV-M
Suites
Évacuation pompiers (BSPP)Hôpital (VSAV)
Violence grave #5713 du 21 mars 2023

  • Violences volontaires avec 3 circonstances aggravantes : par personne dépositaire de l'autorité publique, en réunion, au moyen d'un véhicule à moteur (poursuites) Violence disproportionnée
  • Faux en écriture par personne dépositaire de l'autorité publique (poursuites, avant incompétence du tribunal correctionnel)

Cause

Autres causes policières 
Autres causes policières

Cause

Violence disproportionnée 
Violence disproportionnée
777
faits recensées sur le site depuis mars 2019.

Évènement

Manifestations spontanées contre le 49.3 sur la réforme des Retraites 
Manifestations spontanées contre le 49.3 sur la réforme des Retraites
PARIS
Juridique
Problèmes
Violences volontaires avec 3 circonstances aggravantes : par personne dépositaire de l'autorité publique, en réunion, au moyen d'un véhicule à moteur (poursuites)
Faux en écriture par personne dépositaire de l'autorité publique (poursuites, avant incompétence du tribunal correctionnel)
Auteurs / Impliqués
Policiers de la 32e compagnie d'intervention en BRAV-M
BRAV-M / BRAV-L
Policiers compagnie motocycliste de la Préfecture de police en BRAV-M
BRAV-M / BRAV-L
Poursuites
7 avril 2025
Jugement devant le tribunal correctionnel de Paris
Signalement
ID Unique
5713
Statut
Vérifié
Doublons
Unique
Mise à jour
11 avril 2025

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