Violence N°5692
PARIS, le 20 mars 2023
« Je peux te dire qu’on en a cassé, des coudes et des gueules » : sursis, amendes et relaxe requis contre la BRAV-M
Une dizaine de policiers avaient été enregistrés menacer l’étudiant tchadien interpellé lors des manifestations contre la réforme des retraites en 2023. À leur procès les 3 avril et 12 juin, les fonctionnaires ont surtout invoqué l'effet de groupe et nié tout racisme. Le parquet de Bobigny a requis des amendes contre deux d'entre eux et quatre mois avec sursis contre celui auteur de claques.
Par Vincent VICTOR, Ana PICH le

Ce jeudi 3 avril s’ouvrait au tribunal de Bobigny le procès des dix policiers de la 21ème compagnie d'intervention, accusés d’avoir violenté et menacé un jeune homme interpellé, Souleyman, alors qu'ils intervenaient en BRAV-M le soir du 20 mars 2023 lors de manifestations contre la réforme des retraites à Paris. L’enregistrement audio diffusé quatre jours plus tard par le média Loopsider avait relancé les indignations sur les violences policières reprochées à cette unité.

Aux côtés des deux fonctionnaires poursuivis par le parquet — Pierre L, 27 ans, pour avoir menacé et infligé deux claques le jeune homme et Thomas C, 29 ans, pour des menaces — huit autres de leurs collègues sont cités par les parties civiles pour violences en réunion à caractère raciste et sexiste, mais aussi complicité d’agression sexuelle en réunion. Car Souleyman et Salomé — une autre interpellée — reprochent aux fonctionnaires des attouchements pendant leur palpation de sécurité, au niveau du sexe pour le premier et de la poitrine pour la seconde.

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26 minutes de menaces et d’humiliations

Au centre de l’enquête et de l’attention, la vidéo de Loopsider est diffusée dans la salle d’audience, puis la totalité de l’enregistrement audio capté ce soir-là par l’un des interpellés. « Ce par quoi tout a commencé » relève la juge rapporteuse. Durant 26 minutes, les menaces, moqueries et humiliations entremêlées de questions et de remarques sur la vie des interpellés résonnent dans la petite salle du tribunal de Bobigny. « Je peux te dire qu'on en a cassé des coudes et des gueules et toi, je t'aurais bien pété les jambes », entend-on entre les rires des collègues, puis les menaces se font plus claires : « La prochaine fois qu'on vient, tu ne monteras pas dans le car pour aller au commissariat, tu vas monter dans un autre truc qu'on appelle ambulance pour aller à l'hôpital ». La scène, pourtant, semble tout à fait banale pour les policiers. On rit, on plaisante, on rebondit sur les collègues. Un groupe « soudé dans la moquerie » exprimeront deux témoins à la barre. Une ambiance de bons copains qui donne la désagréable impression que cette soirée n'est, pour les fonctionnaires, qu'une parmi d'autres. 

À la barre, deux ans après les faits, les deux policiers poursuivis par le parquet ont déchanté et expriment à maintes reprises leurs regrets. Peu d’excuses, en revanche, se font entendre, encore moins de remises en questions. La raison des violences et menaces ? Un « effet tunnel », répètent-ils de nombreuses fois au cours de l’audience, face au comportement « provocateur » du jeune homme. « Il a proposé de se battre avec nous », avance Pierre L. qui précise que ces faits se seraient déroulé en dehors de l’enregistrement. Lors de son audition par l’IGPN, le policier avait dénoncé un « guet-apens », avançant avoir été « manipulé et poussé à bout » par les jeunes qu’il a interpellé.

Thomas C, lui, pointe comme provocations les « regards les yeux dans les yeux, défiants » et les « sourires pervers » de Souleyman, ou encore sa façon de dénoncer les violences qu’il était en train de subir : « C’était son ton. Il y a une manière de le dire. J’ai eu du mal avec l’attitude qui défie l’autorité que je représentais », explique le fonctionnaire devant un tribunal dubitatif. « Ce n’est pas de nature à rassurer le tribunal que vous puissiez partir comme ça parce qu’un interpellé avait, assumons, un air moqueur » fait remarquer la juge assesseur.

Thomas C avance aussi un « effet de groupe ». Malgré la volonté de l'avocat d'un autre policier de ne pas être « devant cette juridiction pour faire le procès de la BRAV-M », le fonctionnaire l'avoue lui-même : « tout le monde a dérapé ». En conseil de discipline, il a été sanctionné d'un blâme. Son collègue accusé de violence a pris trois jours d'exclusion.

« J’ai heurté son visage avec ma main »

Quant aux deux gifles reprochés à Pierre L, le fonctionnaire reconnaît la première, mais justifie le second coup, qui frappe la tête de Souleyman contre le mur, par un « geste réflexe » face à un « coup de pied » qu’aurait selon lui donné le jeune homme à sa cheville. « J’ai heurté son visage avec ma main sans prendre d’élan », glisse-t-il. L’euphémisme passe mal auprès du tribunal. « Comment heurte-t-on quelqu’un avec une gifle ? » reprend immédiatement la juge rapporteuse, puis le président : « Vous lui avez mis une claque ! ».

Dans leur viseur de l’avocat des deux victimes Me Alimi, « l’activité même de la BRAV-M » qu’il croit, loin de la scène de dérapage qu’essayent de dépeindre les prévenus, fondamentale dans le déroulé des évènements. L’avocat se veut percutant. Il relit les premières lignes des fiches d’interpellations, justifiant ces dernières par un signalement radio décrivant aux agents un groupe auteur de feux de poubelles. Sauf que les policiers n’ont pas vu les faits et que les jeunes ont en fait été récupérés dans plusieurs rues différentes. Sous les yeux attentifs du tribunal, il interroge longuement les deux policiers, répète, relis une ligne, insiste à nouveau, et éclate : « Qui dit la vérité chez vous ? ». Toutes les procédures seront classées sans suite. Pour l’avocat, l’intervention visait surtout à répondre à un « quota de 200 à 300 interpellations ».

« Dérapages », « maladresses » et « étourderies »

Au second jour du procès, le 12 juin, l’ensemble des fonctionnaires sont tour à tous interrogés sur leurs propos. À la barre, aucun ne semble avoir initié une vraie remis en question. « Tu la ferme ou tu veux la deuxième », « je peux venir dormir avec toi si tu veux », « c’est le premier qui bande qui encule l’autre » : ce sont des remarques dont « l’intention n’était pas de blesser mais de réveiller quelques consciences » assure l’auteur des deux claques Pierre L. « Si tu veux je te prend tout seul », « tu repartira sans tes genoux » « tu va monter dans un autre truc qu’on appelle ambulance pour aller a l’hôpital », « t’as de la chance qu’on va se venger sur d’autres personnes » ou encore « je peut te dire qu’on en a cassé des coudes et des gueules » : ces mots ont seulement « dépassés [sa] pensée » affirme Thomas C. Les multiples remarques sur le sexe de Souleyman moqué d’avoir « bandé vers l’intérieur » ou son « cul de peureux » : des « dérapages et de la maladresse » faites « sans arrière-pensée » assure le même.

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« On va t’apprendre a respecter toi, t’as pas bien compris » : une leçon de morale l’invitant à être « courtois avec les forces de l’ordre » d’après Yann C. « T’as pas été éduqué », « il n’a jamais pris de branlée par ses parents » et et quelques références aux « black-blocs » qui « ramassent leur dents » : des « étourderie » pense Victor L. « Il s’est accroché à l’aile de l’avion » pour commenter le voyage de Souleyman vers la France  : seulement un « gag tiré d’un film » défend Yanis A en « grand cinéphile ». « Il va aller en GAV et demain il va sortir avec une OQTF » puis « c’est fini demain tu repart au Tchad » : une simple information juridique assure Théo R, pour qui les commentaires sur son adresse et la promesse de « le retrouver » à Saint-Denis n’étaient d’ailleurs « pas menaçants ». Et envers Salomé, « ta vie ne tient qu’à un fil » : une phrase « maladroite, pour détendre l’atmosphère » jure Benoît A.

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Interrogés sur rires qui accompagnaient parfois leurs réflexions, les policiers semblent ne pas savoir qui étaient présents autour d’eux. « On est tous casqués, cagoulés, habillés pareille » justifie Benoît A. Ils n’auraient pas, non plus, vu les violences, tous « livrés à [leurs] diverses missions » sans remarquer les « actes isolés » des uns ou des autres, affirme Pierre L. 

Des propos « objectivement raciste », analyse Eeniz HERAN, responsable juridique de SOS Racisme. Une scène « insupportablement normale » dénonce l’avocate de la Ligue des Droits de l’Homme (LDH) Chloé Saynac. Pour l’association, le comportement des policiers ce soir là n’a rien d’exceptionnel. Son rapport publié fortuitement peu après les faits analysait chez ces unités un « style qui puise dans les répertoires de la chasse, du film d’action, du virilisme et de l’intimidation ». « Ce n’est pas un accident, c’est un système, c’est le schéma d’intervention de la BRAV » poursuit-elle. L’association dénonce également les « interpellations préventives » devenues « un objectif central » selon elle dans les opérations de maintien de l’ordre. À l’époque, la Contrôleuse des lieux de privation de liberté (CGLPL) Dominique Simonnot avait dénoncée un « un recours massif, à titre préventif, à la privation de liberté » et des « atteintes graves aux droits fondamentaux » des gardés-à-vue. 

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Des amendes et 4 mois avec sursis requis

Malgré la « sensation de malaise » procuré par l’enregistrement, la procureur Fanny Bussac refuse de « condamner le groupe » dans lequel, pour elle, « chacun joue sa propre petite musique ». Le ministère public requière 4 mois d’emprisonnement avec sursis et une interdiction d’exercice d’un an contre Pierre L. ainsi que 450e d’amende contre lui et Thomas C pour les menaces. Du coté des huit autres fonctionnaires cités par la partie civile, elle voit dans leurs propos « des banalités, des plaisanteries, pas toujours de bon goût, mais aussi des propos parfois bienveillants » et demande la relaxe. Ni propos sexiste, « une construction intellectuelle », ni antisémitisme, seulement « des moqueries sur les prénoms », pas d’avantage de menaces de mort, la victimes n’ayant eu que « peur de poursuites pénales ». Quand aux caractère raciste des violences dénoncé par la partie civile, « c’est pas parce-que Souleyman est noir et qu’il a subi des gifles que les gifles sont racistes », juge-t-elle, reprochant au jeune homme ne s’en être plain qu’après avoir été « éclairé ou instrumentalisé par son conseil ».

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Le délibéré sera rendu le jeudi 10 juillet 2025.

Illustrations du procès par Ana Pich

Victime
Genre
Homme
Suites
InterpellationArrestation
Violence #5692 du 20 mars 2023

  • Violences volontaires par personnes dépositaires de l'autorité publique (poursuites) Violence disproportionnée
  • Menaces de violences (poursuites), remarques et humiliations à carractère raciste et homophobe (enregistrements) Irrespect, insultes et menaces
  • Agression sexuelle en réunion lors des palpations de sécurité (citation directe par la partie civile)
Pièces
5692 Enregistrement audio des policiers de la BRAV-M
Liens

Cause

Coups de poing, coups de pied 
Coups de poing, coups de pied
34
victimes graves
recensées sur le site depuis mars 2019.
268
victimes
recensées sur le site depuis mars 2019.
43%
frappées à la tête
parmi les victimes recensées.
La complexité et multiplicité des moyens policiers répressifs (charges, foule, gaz…) compliquent souvent l'identification par les victimes de la cause de leur blessure.

Cause

Irrespect, insultes et menaces 
Irrespect, insultes et menaces
1 079
faits recensés sur le site depuis mars 2019.

Évènement

Manifestations spontanées contre le 49.3 sur la réforme des Retraites 
Manifestations spontanées contre le 49.3 sur la réforme des Retraites
PARIS
Juridique
Problèmes
Violences volontaires par personnes dépositaires de l'autorité publique (poursuites)
Menaces de violences (poursuites), remarques et humiliations à carractère raciste et homophobe (enregistrements)
Agression sexuelle en réunion lors des palpations de sécurité (citation directe par la partie civile)
Auteurs / Impliqués
Policiers de la 21ème compagnie d'intervention opérant en BRAV-M
BRAV-M / BRAV-L
Poursuites
  1. Avril 2023
    Ouverture d'une enquête, confiée à l'IGPN
  2. 5 juin 2023
    Sanctions administratives : 3 agents renvoyés en conseil de discipline, 4 sanctionnés
  3. 3 avril 2025
    Jugement devant le tribunal correctionnel de Bobigny, deux policiers sont poursuivis par le parquet, huit sont cités par la partie civile
  4. 12 juin 2025
    Suite du procès
  5. 10 juillet 2025
    Délibéré
Signalement
ID Unique
5692
Statut
Vérifié
Doublons
Unique
Mise à jour
17 juin 2025

622
Victimes graves recensées ayant nécessité une prise en charge médicale ou gardé des séquelles, plus de 1 victime sur 10.
Victimes graves 
7 726
Victimes et faits recensés de violences et d'abus policiers recensés depuis 2018 en France.
Signalements récents 
8 241
Lieux de vie informels expulsés par les forces de l'ordre depuis 2018 en France.
27 500
Victimes estimées de violences policières pour les seules manifestations Gilets Jaunes et Retraites.