Violence N°5692
PARIS, le 20 mars 2023
« Je peux te dire qu’on en a cassé, des coudes et des gueules » : au procès de la BRAV-M, les policiers regrettent… et minimisent
Ce jeudi 3 avril au tribunal de Bobigny s'ouvrait le procès des dix policiers enregistrés en train de violenter et menacer Souleyman durant les manifestations contre la réforme des retraites. Mais après les regrets, les fonctionnaires ont surtout invoqué « l'effet tunnel » et l'effet de groupe.
Par Vincent VICTOR, Ana PICH le

Ce jeudi 3 avril s’ouvrait au tribunal de Bobigny le procès des dix policiers de la 21ème compagnie d'intervention, accusés d’avoir violenté et menacé un jeune homme interpellé, Souleyman, alors qu'ils intervenaient en BRAV-M le soir du 20 mars 2023 lors de manifestations contre la réforme des retraites à Paris. L’enregistrement audio diffusé quatre jours plus tard par le média Loopsider avait relancé les indignations sur les violences policières reprochées à cette unité.

Aux côtés des deux fonctionnaires poursuivis par le parquet — Pierre L, 27 ans, pour avoir menacé et infligé deux claques le jeune homme et Thomas C, 29 ans, pour des menaces — huit autres de leurs collègues sont cités par les parties civiles pour violences en réunion à caractère raciste et sexiste, mais aussi complicité d’agression sexuelle en réunion. Car Souleyman et Salomé — une autre interpellée — reprochent aux fonctionnaires des attouchements pendant leur palpation de sécurité, au niveau du sexe pour le premier et de la poitrine pour la seconde.

Illustration 1

26 minutes de menaces et d’humiliations

Au centre de l’enquête et de l’attention, la vidéo de Loopsider, puis la totalité de l’enregistrement audio capté ce soir-là par l’un des interpellés, sont diffusés dans la salle d’audience. « Ce par quoi tout a commencé » relève la juge rapporteuse. Durant 26 minutes, les menaces, moqueries et humiliations entremêlées de questions et de remarques sur la vie des interpellés résonnent dans la petite salle du tribunal de Bobigny. « Je peux te dire qu'on en a cassé des coudes et des gueules et toi, je t'aurais bien pété les jambes », entend-on entre les rires des collègues, puis les menaces se font plus claires : « La prochaine fois qu'on vient, tu ne monteras pas dans le car pour aller au commissariat, tu vas monter dans un autre truc qu'on appelle ambulance pour aller à l'hôpital ». La scène, pourtant, semble tout à fait banale pour les policiers. On rit, on plaisante, on rebondit sur les collègues. Un groupe « soudé dans la moquerie » exprimeront deux témoins à la barre. Une ambiance de bons copains qui donne la désagréable impression que cette soirée n'est, pour les fonctionnaires, qu'une parmi d'autres. 

À la barre, deux ans après les faits, les deux policiers poursuivis par le parquet ont déchanté et expriment à maintes reprises leurs regrets. Peu d’excuses, en revanche, se font entendre, encore moins de remises en questions. La raison des violences et menaces ? Un « effet tunnel », répètent-ils de nombreuses fois au cours de l’audience, face au comportement « provocateur » du jeune homme. « Il a proposé de se battre avec nous », avance Pierre L. qui précise que ces faits se seraient déroulé en dehors de l’enregistrement. Lors de son audition par l’IGPN, le policier avait dénoncé un « guet-apens », avançant avoir été « manipulé et poussé à bout » par les jeunes qu’il a interpellé.

Thomas C, lui, pointe comme provocations les « regards les yeux dans les yeux, défiants » et les « sourires pervers » de Souleyman, ou encore sa façon de dénoncer les violences qu’il était en train de subir : « C’était son ton. Il y a une manière de le dire. J’ai eu du mal avec l’attitude qui défie l’autorité que je représentais », explique le fonctionnaire devant un tribunal dubitatif. « Ce n’est pas de nature à rassurer le tribunal que vous puissiez partir comme ça parce qu’un interpellé avait, assumons, un air moqueur » fait remarquer la juge assesseur.

Thomas C avance aussi un « effet de groupe ». Malgré la volonté de l'avocat d'un autre policier de ne pas être « devant cette juridiction pour faire le procès de la BRAV-M », le fonctionnaire l'avoue lui-même : « tout le monde a dérapé ». En conseil de discipline, il a été sanctionné d'un blâme. Son collègue accusé de violence a pris trois jours d'exclusion.

« J’ai heurté son visage avec ma main »

Quant aux deux gifles reprochés à Pierre L, le fonctionnaire reconnaît la première, mais justifie le second coup, qui frappe la tête de Souleyman contre le mur, par un « geste réflexe » face à un « coup de pied » qu’aurait selon lui donné le jeune homme à sa cheville. « J’ai heurté son visage avec ma main sans prendre d’élan », glisse-t-il. L’euphémisme passe mal auprès du tribunal. « Comment heurte-t-on quelqu’un avec une gifle ? » reprend immédiatement la juge rapporteuse, puis le président : « Vous lui avez mis une claque ! ».

Dans leur viseur de l’avocat des deux victimes Me Alimi, « l’activité même de la BRAV-M » qu’il croit, loin de la scène de dérapage qu’essayent de dépeindre les prévenus, fondamentale dans le déroulé des évènements. L’avocat se veut percutant. Il relit les premières lignes des fiches d’interpellations, justifiant ces dernières par un signalement radio décrivant aux agents un groupe auteur de feux de poubelles. Sauf que les policiers n’ont pas vu les faits et que les jeunes ont en fait été récupérés dans plusieurs rues différentes. Sous les yeux attentifs du tribunal, il interroge longuement les deux policiers, répète, relis une ligne, insiste à nouveau, et éclate : « Qui dit la vérité chez vous ? ». Toutes les procédures seront classées sans suite. Pour l’avocat, l’intervention visait surtout à répondre à un « quota de 200 à 300 interpellations ».

À 20 heures, le président s’y résout : l’unique journée programmée initialement pour les deux policiers poursuivis par le parquet ne suffira pas pour entendre les huit autres fonctionnaires mis en cause. Un second jour d’audience se tiendra le jeudi 12 juin. Le délibéré, quant à lui, devrait être rendu le 7 juillet.

Illustrations du procès par Ana Pich

Victime
Genre
Homme
Suites
InterpellationArrestation
Violence #5692 du 20 mars 2023

  • Violences volontaires par personnes dépositaires de l'autorité publique (poursuites) Violence disproportionnée
  • Menaces de violences (poursuites), remarques et humiliations à carractère raciste et homophobe (enregistrements) Irrespect, insultes et menaces
  • Agression sexuelle en réunion lors des palpations de sécurité (citation directe par la partie civile)
Liens

Cause

Coups de poing, coups de pied 
Coups de poing, coups de pied
32
victimes graves
recensées sur le site depuis mars 2019.
264
victimes
recensées sur le site depuis mars 2019.
43%
frappées à la tête
parmi les victimes recensées.
La complexité et multiplicité des moyens policiers répressifs (charges, foule, gaz…) compliquent souvent l'identification par les victimes de la cause de leur blessure.

Cause

Irrespect, insultes et menaces 
Irrespect, insultes et menaces
1 068
faits recensés sur le site depuis mars 2019.

Évènement

Manifestations spontanées contre le 49.3 sur la réforme des Retraites 
Manifestations spontanées contre le 49.3 sur la réforme des Retraites
PARIS
Juridique
Problèmes
Violences volontaires par personnes dépositaires de l'autorité publique (poursuites)
Menaces de violences (poursuites), remarques et humiliations à carractère raciste et homophobe (enregistrements)
Agression sexuelle en réunion lors des palpations de sécurité (citation directe par la partie civile)
Auteurs / Impliqués
Policiers de la 21ème compagnie d'intervention opérant en BRAV-M
BRAV-M / BRAV-L
Poursuites
  • Avril 2023
    Ouverture d'une enquête, confiée à l'IGPN
  • 5 juin 2023
    Sanctions administratives : 3 agents renvoyés en conseil de discipline, 4 sanctionnés
  • 3 avril 2025
    Jugement devant le tribunal correctionnel de Bobigny, deux policiers sont poursuivis par le parquet, huit sont cités par la partie civile
Signalement
ID Unique
5692
Statut
Vérifié
Doublons
Unique
Mise à jour
15 avril 2025

620
Victimes graves recensées ayant nécessité une prise en charge médicale ou gardé des séquelles, plus de 1 victime sur 10.
Victimes graves 
7 650
Victimes et faits recensés de violences et d'abus policiers recensés depuis 2018 en France.
Signalements récents 
8 241
Lieux de vie informels expulsés par les forces de l'ordre depuis 2018 en France.
27 500
Victimes estimées de violences policières pour les seules manifestations Gilets Jaunes et Retraites.