Violence grave N°5612
PARIS, le 23 mars 2023
« Mes mains sont pleines de sang », témoignage d'une femme frappée par la police

Le 23 mars 2023 à Paris. Jeune femme frappée d'un coup de matraque par un policier à l'arrière du crâne. À sa demande, nous publions son témoignage complet, qui révèle l'arbitraire et la détresse que peuvent subir les victimes de violences policières.


À 18h23, je suis devant les palissades en bois du chantier de rénovation de la façade de l’Opéra Garnier avec plusieurs amis et d’autres manifestants. La place de l’Opéra se remplit progressivement car le début du cortège commence à arriver sur la place.

Quelques minutes plus tard, les forces de l’ordre, que j’appellerais ici Groupe 1, tirent plusieurs grenades de gaz lacrymogène. L’air devient rapidement irrespirable et ma vision se trouble à cause des brûlures occasionnées par le gaz. Aussitôt, le Groupe 1 charge les manifestants depuis la rue Halévy vers la rue Auber le long de la façade de l’Opéra. 

Les personnes présentes sur le parvis courent en direction de la rue d’Auber. La rue est fermée par un barrage des forces de l’ordre, que j’appellerais ici Groupe 2. Le Groupe 2 bloque les manifestants sur la place de l’Opéra, les empêchant d’échapper à la charge de leurs collègues du Groupe 1. La foule de manifestants s’entasse contre le barrage du Groupe 2, tandis que la charge du Groupe 1 depuis la rue Hélavy continue. J'aperçois la charge du Groupe 1, les agents des forces de l’ordre sont en tenus de maintien de l'ordre, ils portent des casques noirs avec deux liserets bleus. Les forces de l’ordre du Groupe 1 donnent des coups au niveau de la tête des manifestants dans la foule sans distinction. Je cours en tenant [mon amie] qui a les yeux brûlés par le gaz lacrymogène. Dans le mouvement de foule et la panique je perds une partie de mes amis. Les forces de l’ordre des Groupe 1 et 2 ne donnent aucune indication ou sommation, tandis que le Groupe 1 continue de porter des coups de matraques aux manifestants.

La foule s’agglutine, il est difficile de respirer du fait du gaz et de la compression de nos cages thoraciques. Il est impossible d’avancer ou d’échapper aux forces de l’ordre du Groupe 1 qui se montrent particulièrement violents. Je suis dos à la charge du Groupe 1 en direction de la rue d’Auber. A ce moment, je reçois plusieurs coups au niveau des épaules, du haut du dos, de la nuque et de la tête. Je tente de me protéger avec mes bras. Nous sommes compressées par la foule. Je sens une forte douleur. Je mets mes mains au niveau de l’arrière de mon crâne pour constater la blessure. Mes mains sont pleines de sang.

Je signale à une amie que je suis blessée. En voyant la quantité de sang sur mes mains, elle s’inquiète et demande aux manifestants de nous laisser passer toujours en direction de la rue d’Auber. Nous parvenons à atteindre le barrage établi par les forces de l’ordre du Groupe 2. Les agents des forces de l’ordre refusent de nous laisser passer. Ils sont en tenue de maintien de l’ordre, portent des boucliers et un casque avec des liserés bleus. J’observe que les agents des forces de l’ordre face à moi ne portent pas de numéro RIO. Mon amie M. explique aux agents des forces de l’ordre que je suis blessée. Ils refusent toujours de nous laisser passer. Je place mes mains pleines de sang devant le visage de l’agent des forces de l’ordre face à moi en lui expliquant que je vais bientôt perdre connaissance et que je risque d'être piétinée dans la nasse. Je lui signale que je dois être prise en charge par une équipe médicale. Mon amie M. crie. Je commence à paniquer. Finalement, après de longues minutes de négociation, les agents des forces de l’ordre acceptent de nous laisser passer. Aucun des agents des forces de l’ordre ne me prête assistance ou ne m’indique la position d’une équipe médicale. Le reste des manifestants restent nassés entre les forces de l’ordre des Groupe 1 et 2, sans aucune issue et toujours victimes des coups de matraques du Groupe 1.

Plusieurs autres manifestants blessés à la tête parviennent peu à peu à sortir de la nasse et du périmètre de la manifestation. Une jeune femme également blessée à l’arrière de la tête et perdant du sang nous rejoint.

Nous marchons rue Scribe en direction des Galeries Lafayette. A l’angle avec le boulevard Haussmann, un véhicule fourgon pompe-tonne de pompiers stationné. Moi et l’autre jeune femme sommes examinées sur le trottoir par l’un des pompiers. Ils ne disposent pas du bon véhicule pour nous prendre en charge. Le pompier qui examine ma blessure à la tête, stipule que je perds beaucoup de sang, que la plaie doit être recousue. Les pompiers appellent une ambulance.

Je suis proche de perdre connaissance, j’ai des fourmillements dans le haut des jambes, mes jambes flanchent et j’ai de fortes douleurs à la tête. Je m'assieds par terre. À 18h56, je signale par message que je suis assise par terre boulevard Haussmann avec les pompiers.

Par la suite, l'un des pompiers m’explique que malgré son appel aucune ambulance ne peut se déplacer pour me prendre en charge. Il me conseille de me rendre à pied à l’hôpital le plus proche avec l’aide de mon amie M., en s’excusant de n’avoir aucune autre solution. 

Je marche avec mon amie M. en direction du métro Richelieu Drouot, pour atteindre l’hôpital ANHDJ rue de la Grange Batelière à 10 min à pied de notre position. J’ai des difficultés à marcher, à m’orienter, je perds l’équilibre. Au niveau de la rue de la Chaussée d’Antin, je suis prise en charge par une seconde équipe de pompiers dans un véhicule de secours et d’assistance aux victimes. Le pompier me stipule qu’il est difficile de voir l’ampleur de la plaie car j’ai perdu beaucoup de sang. Il désinfecte la blessure, nettoie le sang sur mes mains. Puis il me conseille de rentrer chez moi au vu de la surcharge des services d’urgence des hôpitaux environnants. Il me conseille de ne pas dormir seul et de me faire réveiller toutes les deux heures par un ami en observant l’évolution de mon état du fait du risque de trauma crânien. Si la plaie continue de saigner le lendemain, il me conseille d’aller à l'hôpital.

J’appelle plusieurs fois A. au téléphone qui me signale qu’il ne peut pas nous rejoindre car les forces de l’ordre l'empêchent de sortir du périmètre de la manifestation alors même qu’il précise à plusieurs reprises qu’il essaye de rejoindre une amie blessée à la tête et prise en charge par les pompiers dans la rue adjacente. 

Aux alentours de 21h00, A. parvient à nous rejoindre au niveau du 44 rue La Fayette. Je rentre difficilement à pied au domicile d’A.. Je me rince la tête à l’eau, la plaie est d’environ deux à trois centimètres et continue de saigner. Épuisée et sous le choc, je m’endors un peu, la douleur lancinante me réveille, je continue de saigner pendant la nuit. 

Le lendemain, vendredi 24 mars 2023, je me rends sur mon lieu de travail quai d’Austerlitz aux alentours de 9h00. Au cours de la matinée mon état se détériore. Je suis incohérente, j’ai des troubles de la concentration, des difficultés à m’exprimer. Je présente d’importants tremblements, des nausées, vertiges, et fourmillement dans le haut des jambes. Par intermittence, j’ai des troubles de la vision périphérique qui devient floue, et des troubles la vision centrale sous forme de taches noires. Un médecin présent sur mon lieu de travail, m’indique la nécessité de me rendre à l’hôpital le plus proche. Je décide de me rendre, aidé par un ami jusqu’aux urgences de l’hôpital Pitié-Salpêtrière à 10 min de marche de mon lieu de travail.

À 12h46, je suis prise en charge par l’accueil des urgences. On me diagnostique un traumatisme crânien. Je passe un scanner et quatre agrafes chirurgicales sont positionnées dans mon crâne pour ressouder les bords de ma plaie. On me prescrit notamment du Topalgic (Tramadol) pour une durée d’une semaine. Je sors aux alentours de 16h00 du service des urgences.

Aujourd’hui, mardi 28 mars 2023, je suis toujours sous le choc. Je ne participerai pas à l’appel de l’intersyndicale pour cette nouvelle journée de mobilisation. Non pas par choix, mais par peur et parce que mon état de santé ne me le permet pas. Je dénonce ici les coups des agents des forces de l’ordre dont j’ai été victime, qui constituent une violation de mon droit à manifester et une atteinte à l’intégrité physique de ma personne, ainsi que la non assistance à personne en danger dont se rendent coupables les forces de l’ordre.

Victime
Genre
Femme
Age
27 ans
Blessures
Plaie (2cm) au crâne avec traumatisme cranien : céphalée, nausées, vertiges et trouble de la vision.
Matraque et tonfa
Suites
Hôpital par moyens propres le lendemain sur conseil des pompiers
Pièces
Témoignages mail 5612
Source: Victime et témoins
5612 Certificat initial urgences
Source: Victime
Vérification: Investigation interne
5612 Photo plaie avec agrafes
Source: Victime et témoins
Vérification: Investigation interne
5612 Photo plaie après rincage
Source: Victime et témoins
Vérification: Investigation interne

Cause

Matraque et tonfa 
Matraque et tonfa
81
victimes graves
recensées sur le site depuis mars 2019.
645
victimes
recensées sur le site depuis mars 2019.
44%
frappées à la tête
parmi les victimes recensées.
La frappe de la tête par matraque ou tonfa est normalement une pratique illégale. 33% des victimes ont nécessité une prise en charge médicale.

Évènement

Manifestation contre la Retraite à 64 ans #9 

Manifestation nationale contre la réforme des retraites.

Manifestation contre la Retraite à 64 ans #9
PARIS, le 23 mars 2023
Contexte
Date
23 mars 2023
Ville
Paris
Lieu
Rue Auber, Opéra Garnier
Heure
18:30
Juridique
Auteurs / Impliqués
Poursuites
Pas de suites connues
Signalement
ID Unique
5612
Statut
Vérifié
Doublons
Dédupliqué (2)
Source
Victime et témoins
Victime
Vérific.
Investigation interne
Mise à jour
24 novembre 2023

582
Victimes graves recensées ayant nécessité une prise en charge médicale ou préservé des séquelles, plus de 1 victime sur 10.
Victimes graves 
6 092
Victimes et faits recensés de violences et d'abus policiers recensés depuis 2018 en France.
Signalements récents 
5 646
Lieux de vie informels expulsés par les forces de l'ordre depuis 2018 en France.
27 500
Victimes estimées de violences policières pour les seules manifestations Gilets Jaunes et Retraites.